Paola PIGANI "N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures"
Paola
Pigani : "N'entre
pas dans mon âme avec tes chaussures"
L'histoire
:
Au
printemps 1940 le gouvernement de la 3ème République interdit la
circulation des nomades sur tout
le
territoire national. Dès septembre, une soixantaine de tziganes,
évacués de Lorraine, sont regroupés
et
internés par familles entières au camp des Alliers près
d'Angoulême. Le mois suivant, la
Kommandantur
d'Angoulême exige du Préfet de Vichy qu'il rassemble dans ce même
camp tous les
tziganes
de Charente ainsi que ceux de Charente-Maritime, sous l'encadrement
et la surveillance de la
police
française.
A
travers le regard d'Alba, 14 ans lorsqu'elle entre dans le camp,
Paola Pigani évoque l’arrachement à
la
vie nomade puis l’extrême dénuement, la faim et la mort qui ont
marqué six longues années
d'internement
(en effet, la nouvelle administration du gouvernement de la
Libération maintiendra
l'existence
et le fonctionnement de ce camp jusqu'en mai 1946).
Soigneusement
documenté, l'ouvrage de Paola Pigani n'en demeure pas moins une
œuvre
de fiction
même
si le personnage principal, Alba, n'a pas été inventé. De son vrai
prénom Alexienne, elle est
aujourd'hui
âgée de 87 ans et l'auteure nous la présente comme une taiseuse.
Ce sont surtout ses
petites-filles
qui l'ont aidée à planter le décor et à entrer à pas discrets
dans l'âme de la communauté
tzigane.
Mon
avis :
un
magnifique premier roman
-
une
belle manière d'entrer dans l'histoire et la culture du peuple
tzigane
L'auteure
est une gadgi mais elle réussit le tour de force de présenter
l'histoire d'Alba et des siens du
point
de vue tzigane.
Il y a dans ce roman un souffle d'authenticité qui le rapproche du
très beau film
«
Liberté » de Tony Gatlif, réalisateur qui lui est né d'un père
kabyle et d'une mère gitane.
-
une
rencontre réussie entre création romanesque et utilisation des
matériaux de l'histoire
L'auteure
utilise parfaitement les matériaux à la disposition de l'historien
: les sources imprimées bien
sûr,
mais aussi l'histoire orale (elle a manifestement beaucoup
écouté et questionné la famille
d'Alexienne,
mais aussi les associations).
En
suscitant l'empathie du lecteur, le roman de Paola Pigani qui donne à
voir le point de vue tzigane
pourrait
donc contribuer à faire bouger les lignes et à réintroduire la
question de la persécution des
tziganes
dans notre mémoire collective.
-
une
thématique large qui résonne au-delà de l'histoire du peuple
tzigane
Le
roman de Paola Pigani est plus qu'un hommage aux Tziganes,
c'est aussi un grand livre sur la liberté,
la
fraternité, la jeunesse et l'amour. En effet Alba va grandir et
essayer malgré tout de prendre en
main
son destin. Au camp, elle va rencontrer l'amour et connaîtra sa
première maternité. Elle croise (et
le
lecteur avec elle) quelques figures lumineuses chez les tsiganes mais
aussi parmi les gadjés : le frère
de
son amoureux - un jeune handicapé -, l'oncle violoniste, une jeune
étudiante en médecine et même un
gardien
du camp engagé dans la résistance. Au passage on comprend que le
roman est dépourvu de tout
manichéisme
: il n'y pas d'un côté les gentils tsiganes amoureux de la liberté
et de l'autre les méchants
français
sédentaires ; l'auteure ne juge pas, elle donne à voir ; au lecteur
de modifier ses propres
représentations
au fil des pages et de construire son opinion.
-
une
écriture à la fois sobre et poétique
S'il
s'agit bien d'un premier roman, il est évident que l'écriture n'est
pas celle d'une débutante. On a
manifestement
affaire à une auteure qui a déjà beaucoup de métier. Paola Pigani
a écrit et publié
nouvelles
et recueils de poésies et ça se sent. Son écriture concise et
délicate est particulièrement
efficace.
De l'écriture poétique, elle a su garder un style très expressif
empli de sensations, de
musique
et d'images. En
un mot, c'est très beau... et très émouvant.