Kamel DAOUD "Meursault, contre-enquête"
Ecrire
un roman dans le miroir d'un autre, voilà un sacré défi. Mais
lorsque le roman choisi comme tremplin est l'un des monuments de la
littérature française du siècle passé, « L'Etranger »
d'Albert Camus, on a envie de crier casse-cou à l'auteur. Et
pourtant le journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud réussit
parfaitement ce tour de force. Le livre à peine refermé on se
demande en effet comment on a pu lire (et relire) L'Etranger sans
jamais avoir voulu connaître la vie de ce personnage sans nom dans
le roman de Camus,« l'Arabe » assassiné par Meursault.
Grâce
à Daoud, « l'Arabe » portera désormais un nom, Moussa,
et l'on entrera dans sa destinée et celle de sa famille :
Haroun, son frère, le narrateur du roman et leur mère M'ma. Et l'on
va découvrir l'autre côté d'une histoire que l'on croyait bien
connaître, avec tout le poids des traditions, de la place des
colons, des contradictions de la décolonisation et du besoin de
vengeance...
Le
récit de Daoud est émaillé de multiples références à notre
classique. Mais celles-ci ne sont jamais ennuyeuses, car elles
fonctionnent comme autant de clins d’œil adressés au lecteur qui
éprouvera certainement le besoin de revenir très vite une fois
encore au texte de Camus.
« Meursault,
contre-enquête » est en outre servi par une très belle
écriture qui navigue entre une sourde colère et de soudaines
poussées d'exaltation. Ce qui ne gâte rien...
On
comprend donc parfaitement que ce premier roman d'un auteur algérien
francophone ait figuré en 2014 sur la ligne d'arrivée du plus
prestigieux de nos prix littéraires, le Goncourt.